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DE MARGUERITE DE NAVARRE

gouverner soi-mesmes & qui aussi se régente le premier ? Car comment pourra commander aux aultres qui ne peut commander à soi-mesmes ? Or la seule Philosophie pare le chemin à Tempérance, & généralement à toutes les aultres Vertus, lesquelles enseignent ce que nous disons ; je dy qu’elles nous aprennent le régime & gouvernement de nous mesmes. Devra celuy estre nommé Roy, ou qui efféminement obéit aux délices, aux plaisirs de la chair comme un Sardanapale, ou qui est magnanime & insuperable contre les furieuses concupiscences ? C’est Philosophie qui enseigne Force & Constance, & monstre que Vertu ne peut demeurer au Royaume de Volupté. Appelleras tu celuy Roy, qui ne sçait establir des Lois, ne vivre selon les Lois ? La seule Philosophie en est la maistresse, & appelle un Roy Ame de la Loy pource que le Roy doit fortifier son Royaume de Lois. Si les Princes considéroient ces choses, certes ils ne dépriseroient ainsi les Philosophes, ains les révéreroient & estudiroient en Philosophie, qui n’est aultre chose sinon l’exercice de bien & d’honnesteté, & par cecy il demeure manifeste à tous que Philosophie est proffitable aux Grands, aux petits & moïens, mais qu’elle n’est a personne tant nécessaire qu’aux Princes.

Ce que considérants les experts & saiges instructeurs de Marguerite luy inculquèrent & meirent en l’esprit des plus nécessaires préceptes & institutions de Philosophie, & aimèrent mieuls la rendre vraie Princesse qu’en luy apprenant ce qu’un jour luy conviendrait desaprendre, empoisonner son Ame de disciplines corrompues & de vénéneuses sciences. Il ne fault toutefois qu’on pense, quand nous faisons mention de Philosophie, que nous ne parlons que de celle qui s’aprend ès escrpits de Platon & des aultres Philosophes, car nous entendons aussi de la