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ORAISON FUNÈBRE

En tenant ces propos, arrive à son logis, entre &, après qu’elle se fut un petit reposée, son Maistre d’hostel l’advertit de soupper. Elle lave & s’assiet à table ; mais je vouldrois, ô Alençonnois, ou que trèsbien vous sçeussés, ou que je vous peusse suffisamment réciter les propos qu’elle tint, en souppant, de la bonté, de la piété, de la miséricorde de Dieu, de quelle haulteur de parolles elle exprima la puissance & la providence divine, de quelle gravité de sentences elle récita la misère & la calamité humaine.

Après qu’elle eut souppé, de rechef commanda à chascun de sortir de sa chambre &, quant elle eut quelque espace de temps vaqué à oraison, se feist apporter la Bible. L’ayant ouverte, s’agenoille & s’appuye sur un petit banc, &, comme elle vint, le S. Esprit ainsi l’ordonnant, à s’arrêter sur le passage où nous est récitée l’oraison que feist à Dieu Ezéchie, Roi de Juda, quand il demanda prolongation de sa vie après que le Prophète luy eut adnoncé la mort, sans que personne y penseast, de loing fut entendu venir un Poste qui, au son de son cor, monstroit assés qu’il alloit en diligence. Adonc vous les eussiés tous veus chés la Royne fort étonnés &, ainsi que dit le Proverbe, tenants le loup aux aureilles, car ils n’estoient encores bien asseurés quelles nouvelles le Courier apportoit.

Au signe de la Poste Marguerite se liève, court à la fenestre, l’ouvre, demande où va le Courier & quelles nouvelles il porte. Personne ne luy respond, car qu’eussent ils peu respondre ? Si, pour la consoler, luy eussent dit qu’il apportoit bonnes nouvelles & il eust esté autrement, la vaine espérance de si courte joye eust possible renouvellé & de plus fort augmenté sa douleur & tristesse. Et, si ainsi eust esté que sa fille fust décédée, où est celuy qui eust voulu si soudainement luy dire & se faire messager