Aller au contenu

Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/69

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
55
DE MARGUERITE DE NAVARRE

de si triste fortune ? Veoiant Marguerite que personne ne lui respondoit, retourne à son oraison ; mais, ô Seigneur Dieu, de quelle affection d’esprit & de quelle ardente foy elle parloit à toy ! Et, comme elle estoit ainsi demourée entre crainte & espérance, Nicolas d’Anguye, lors Evesque de Saix, maintenant de Mande, au logis duquel le Courier étoit descendu, s’en vint à la maison de la Royne, frappe à la porte de sa chambre. On luy ouvre ; il entre & trouve ceste bonne Princesse estant à genoils, la face enclinée contre terre, & intentifve à oraison.

Un peu après elle se liève &, détournée vers le vénérable Evesque : « Monsieur de Saix, » luy dist-elle, « venés vous icy pour adnoncer à une dolente mère la mort de sa fille unique ? J’entens bien qu’elle est maintenant avec Dieu ? » Le trèsprudent homme, auquel une singulière piété de mœurs est conjoincte avec une assurée érudition & exact jugement, ne voulut émouvir les esprits de la Royne par une trop soubdaine joye, ains trèsmodestement luy respondit que véritablement sa fille vivoit avec Dieu ainsi qu’avec luy vivent tous ceuls l’esprit desquels vit par Foy, car il est mort où il n’y a point de foy, mais qu’elle estoit encores en ce monde, que la fiebvre l’avoit laissée, que son flux de sang estoit arresté & que les Médecins envoioient toute bonne & joyeuse nouvelle, ce qu’il avoit entendu par les lettres que le Courier avoit apportées. Quand Marguerite entendit ce propos, elle ne commencea, comme plusieurs eussent fait, de monstrer une insolente & effrénée joye pour si bonne nouvelle, mais, les mains levées au Ciel, trèshumblement le remercia.

En Elie resuscitant le fils de la Sareptane, son hostesse, & en S. Pierre rendant la vie a Dorcade, la puissance divine, qui est incompréhensible à Nature, apertement se