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ORAISON FUNÈBRE

démonstra. Qui engardera que nous ne croions la foy de Marguerite avoir impétré santé à sa fille ?

Ô exemple rare, ô piété insigne, force & magnanimité nompareille ! Se vente maintenant la glorieuse Gentilité tant qu’elle vouldra &, si elle peut, nous propose quelcun des siens que nous puissons comparer à nostre Marguerite. L’on pourra nous mettre en barbe les magnanimes & constants hommes, qui jadis furent si bien armés de force de courage contre toutes adversités qu’ils ne peurent onc estre transpersés des dards de Fortune, leur adversaire. Mais, si les propos que naguères nous tenions ne sont argument trèscertains d’une invincible constance, certes, je ne sçay que nous devrons plus appeller constance. Aristide viendra en avant, qui ne feist que se mocquer de la malice de celuy qui luy avoit craché au visage, & l’admonesta tant seulement de ne faire plus telle villennie. Aussi pourra l’on nous présenter devant les œils l’inénarrable patience du sage Socrate, ou nous proposer la clémence de Jules Caesar envers ses ennemis, & la doulceur d’Aurèle Antoine, de laquelle il usa vers Avie Casse qui, avec d’aultres conjurateurs, avoit machiné sa mort. De mesme mansuétude Tite Vespasian a remporté mesme gloire quand Domitian, son frère, accompaigné d’aultres conspirateurs, délibéra le mettre à mort par trahison, laquelle découverte ne lui monstra aultre visage que de coustume, ains le pria humblement qu’il ne se maculast de parricide. Certes, ces exemples sont trèsbeaux & dignes d’estre suivis & gardés de tous les Princes, mais desquels toutefois la vertu & la mémoire n’eust peu estre désirée en Marguerite.

Que si l’on nous vouloit presser de trop près pour nommer ceuls qui sont tombés jusques en ceste rage que d’a-