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DE MARGUERITE DE NAVARRE

Princes & Seigneurs, la vie desquels, comme dit Homère, est le mirouer des subgets.

D’avantage, qui pourra justement louer en un Prince si luy, qui doibt monstrer exemple de gravité & de vertu, au lieu des choses de conséquence traicte des choses ridicules & ne proffitantes a rien ? Et si, au lieu de prudents & doctes personnages, par le conseil desquels il se doibt gouverner, il ha auprès de sa personne des fols, des plaisanteurs & flattereaus, qui rendent & le tiltre du Prince contemptible, & le Prince mesmes ridicule ? Certes trèsbien disoit Sopatre que le Prince qui prend tout son plaisir aux sornettes, brocquards & parolles de mocquerie, diminue sa majesté & se rend digne d’estre mocqué.

Marguerite sçavoit toutes ces choses, car elle avoit leu en l’Evangile que le Seigneur n’estime les hommes des faicts seuls, mais aussi des parolles, & pource la langue doibt estre contenue & gardée de tous les propos qui n’apportent aulcune utilité honneste. Elle devisoit donc, à son disner & soupper, tantost de Médecine, comme des viandes mal saines ou salubres au corps humain, & des choses naturelles, avec les sieurs Schyron, Cormier, Esterpin, ses Médecins trèsexperts & trèsdoctes, qui soigneusement la regardoient boire & menger, comme l’on observe en cela les Princes. Tantost elle parleoit des Histoires, ou des préceptes de Philosophie, avec d’aultres trèsérudits personnages, dont sa maison n’estoit jamais dégarnie. Une aultrefois entreoit en propos de nostre foy & de la religion Chrestienne avec M. Gérard, Evesque d’Oloron, son Ecclesiaste trèsconsummé, non es sainctes lettres seulement mais aussi en toute manière d’érudition.

Somme, il n’y avoit un seul moment d’heure qui ne fust par elle emploié à tous propos honnestes, délectables