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XVJe NOUVELLE

si bon guet qu’elle n’y pouvoit aller si secrettement qu’il n’y fust premier qu’elle, & qu’il ne demourast autant à l’église qu’il pouvoit avoir le bien de la veoir, &, tant qu’elle y estoit, la contemploit de si grande affection qu’elle ne pouvoit ignorer l’amour qu’il luy portoit. Pour laquelle éviter se délibéra pour un temps de feindre de se trouver mal & oyr la messe en sa maison, dont le Gentil homme fut tant marry qu’il n’estoit possible de plus, car il n’avoit autre moyen de la veoir que cestuy là.

Elle, pensant avoir rompu ceste coustume, retourna aux églises comme par avant, ce que Amour déclaira incontinent au Gentil homme François, qui reprint ses premières dévotions, &, de paour qu’elle ne luy donnast encores empeschement & qu’il n’eust le loisir de luy faire sçavoir sa volunté, ung matin qu’elle pensoit estre bien cachée en une chapelle, s’alla mettre au bout de l’autel où elle oyoit la messe, &, voyant qu’elle estoit peu accompaignée, ainsi que le Prestre monstroit le corpus Domini, se tourna devers elle, & avecq une voix doulce & pleine d’affection luy dist : « Ma dame, je prends celuy que le Prebstre tient à ma damnation si vous n’estes cause de ma mort, car, encores que vous me ostez le moyen de parole, si ne pouvez vous ignorer ma volunté, veu que la vérité la vous declaire assez par mes œilz languissans & par ma contenance morte. » La Dame, faingnant