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XVJe NOUVELLE

en grand hazard, veu que les parens d’elle logeoient tous ensemble.

Luy, qui n’avoit moins de finesse que de beauté, se conduisit si saigement qu’il entra en sa chambre à l’heure qu’elle luy avoit assigné, où il la trouva toute seule couchée en un beau lict, &, ainsi qu’il se hastoit de se deshabiller pour coucher avecq elle, entendit à la porte un grand bruict de voix parlans bas & d’espées que l’on frottoit contre les murailles.

La dame vefve luy dist, avecq ung visaige d’une femme à demi morte :

« Or à ceste heure est vostre vie & mon honneur au plus grand dangier qu’ils pourroient estre, car j’entends bien que voilà mes frères qui vous cherchent pour vous tuer ; par quoy, je vous prie, cachez vous soubs ce lict, car, quand ils ne vous trouveront poinct, j’auray occasion de me courroucer à eux de l’alarme que sans cause ils m’auront faicte. »

Le Gentil homme, qui n’avoit encores regardé la paour, luy dist :

« Et qui sont voz frères pour faire paour à ung homme de bien ? Quand toute leur race seroit ensemble, je suis seur qu’ils n’attendront poinct le quatriesme coup de mon espée ; par quoy reposez vous en vostre lict & me laissez garder ceste porte. »