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XVJe NOUVELLE

siez moy. Il est vray que l’Honneur, qui tousjours m’avoit conduicte, ne vouloit permettre que Amour me feist faire chose dont ma réputation peust empirer. Mais, ainsy comme la biche navrée à mort cuide, en changeant de lieu, changer le mal qu’elle porte avecq soy, ainsi m’en allois-je d’église en église, cuidant fuir celuy que je portois en mon cueur, duquel la preuve de la parfaicte amitié a faict accorder l’Honneur avecq l’Amour. Mais, à fin d’estre plus asseurée de mettre mon cueur & mon amour en ung parfaict homme de bien, je voulus faire ceste dernière preuve de mes Chamberières, vous asseurant que, si, pour paour de vostre vie ou de nul aultre regard, je vous eusse trouvé crainctif jusques à vous coucher soubz mon lict, j’avois délibéré de me lever & aller en une aultre chambre, sans jamais de plus près vous veoir. Mais, pource que j’ay trouvé en vous plus de beaulté, de grace, de vertu & de hardiesse que l’on ne m’en avoit dict, & que la paour n’a eu puissance en riens de toucher en vostre cueur, ny à refroidir tant soit peu l’amour que vous me portez, je suis délibérée de m’arrester à vous pour la fin de mes jours, me tenant seure que je ne sçaurois en meilleure main mettre ma vie & mon honneur que en celuy que je ne pense avoir veu son pareil en toutes vertuz. »