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XVIJe NOUVELLE

auquel il commanda le suivre de près, mais, après avoir quelque temps couru le cerf, voyant le Roy que ses gens estoient loing de luy, hors le Comte seulement, se destourna hors de tous chemins &, quand il se veid seul avecq le Comte au plus profond de la forest, en tirant son espée, dist au Comte : « Vous semble-t-il que ceste espée soit belle & bonne ? » Le Comte, en la maniant par le bout, luy dist qu’il n’en avoit veu nulle qu’il pensast meilleure. « Vous avez raison », dist le Roy, « & me semble que, si ung Gentil homme avoit délibéré de me tuer & qu’il eust congneu la force de mon bras & la bonté de mon cueur accompaignée de ceste espée, il penseroit deux fois à m’assaillir. Toutesfois je le tiendrois pour bien meschant si nous estions seul à seul, sans tesmoings, s’il n’osoit exécuter ce qu’il auroit osé entreprendre. »

Le Comte Guillaume luy respondit avecq ung visaige estonné : « Sire, la meschanceté de l’entreprinse seroit bien grande, mais la follie de la vouloir exécuter ne seroit pas moindre. » Le Roy, en se prenant à rire, remist l’espée au fourreau, &, escoutant que la chasse estoit près de luy, picqua après le plus tost qu’il peut. Quand il fut arrivé, il ne parla à nul de cest affaire & s’asseura que le Comte Guillaume, combien qu’il fust ung aussi fort & disposé Gentil homme qu’il en soit poinct,