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IJe JOURNÉE

laquelle pour quelque procès estoit venue en la ville. Mais, avant que Amour se essayast à vaincre ce Gentil homme par la beaulté de ceste Dame, il avoit gaigné le cueur d’elle en voyant les perfections qui estoient en ce Seigneur, car en beaulté, grâce, bon sens & beau parler, n’y avoit nul, de quelque estat qu’il fust, qui le passast.

Vous, qui sçavez le prompt chemin que faict ce feu quand il se prent à ung des bouts du cueur & de la fantaisie, vous jugerez bien que entre deux si parfaicts subjects n’arresta guères Amour qu’il ne les eust à son commandement & qu’il ne les rendist tous deux si remplis de sa claire lumière que leur penser, vouloir & parler n’estoient que flamme de cest amour. La jeunesse, qui en luy engendroit crainte, luy faisoit pourchasser son affaire le plus doucement qu’il luy estoit possible ; mais elle, qui estoit vaincue d’Amour, n’avoit poinct besoing de force. Toutefois la honte, qui accompaigne les Dames le plus qu’elle peult, la garda quelque temps de monstrer sa volunté. Si est ce que à la fin la forteresse du cueur, où l’Honneur demeure, fut ruinée de telle sorte que la pauvre Dame s’accorda en ce dont elle n’avoit poinct esté discordante.

Mais, pour expérimenter la patience, fermeté & amour de son serviteur, luy octroya ce qu’il demandoit avecq une trop difficile condition, l’as-