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XVIIJe NOUVELLE

— Et puis, » dit Saffredent, « n’estoit-il pas assez fort pour la forcer, puis qu’elle lui avoit baillé camp ?

— Saincte Marie, » dist Nomerfide, « comme vous y allez ! Est ce la façon d’acquérir la grâce d’une qu’on estime honneste & saige ?

— Il me semble, » dist Saffredent, « que l’on ne sauroit faire plus d’honneur à une femme, de qui l’on desire telles choses, que de la prendre par force, car il n’y a si petite Damoiselle qui ne veuille estre bien longtemps priée. Et d’autres encores à qui il fault donner beaucoup de présens avant que de les gaigner ; d’autres qui sont si sottes que par moyens & finesses on ne les peut avoir & gaigner, & envers celles-là ne fault penser que à chercher les moyens. Mais, quand on a affaire à une si saige qu’on ne la peut tromper, & si bonne qu’on ne la peut gaigner ni par paroles ny présens, n’est-ce pas raison de chercher tous les moyens que l’on peut pour en avoir la victoire ? Et, quand vous oyez dire que ung homme a prins une femme par force, croyez que ceste femme là luy a osté l’espérance de tous autres moyens, & n’estimez moins l’homme qui a mis en dangier sa vie pour donner lieu à son amour ».

Geburon, se prenant à rire, dist : « J’ay aultres fois veu assiéger des places & prendre par force, pource qu’il n’estoit possible de faire parler par argent ne par menaces ceux qui les gardoient, car on dict que place qui parlamente est demy gaignée.

— Il vous semble, » dist Ennasuitte, « que toutes les amours du monde soient fondées sur ces follies, mais il y en a qui ont aymé & longuement persévéré de qui l’intention n’a point esté telle.