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IJe JOURNÉE

Par quoy, mes Dames, je vous supplie, si vous n’avez la volunté d’aymer parfaictement, ne vous pensez poinct dissimuler à ung homme de bien & luy faire desplaisir, pour vostre gloire, car les hypocrites sont payez de leurs loyers & Dieu favorise ceux qui ayment naïfvement.

— Vrayment, » dist Oisille, « vous nous l’avez gardé bonne pour la fin de la Journée, &, si ce n’estoit que nous avons tous juré de dire vérité, je ne sçaurois croire que une femme de l’estat dont elle estoit sçeut estre si meschante de l’âme quant à Dieu & du corps, laissant ung si honneste Gentil homme pour ung si villain Muletier.

— Hélas, Madame, » dist Hircan, » si vous sçaviez la différence qu’il y a d’un Gentil homme, qui toute sa vie a porté le harnois & suivy la guerre, auprès d’un varlet bien nourry sans bouger d’un lieu, vous excuseriez cette pauvre vefve.

— Je ne crois pas, Hircan, » dist Oisille, « quelque chose que vous en dictes, que vous puissiez recepvoir nulle excuse d’elle.

— J’ay bien oy dire, » dist Simontault, « qu’il y a des femmes qui veulent avoir des Évangélistes pour prescher leur vertu & leur chasteté, & leur font la meilleure chère qu’il leur est possible & la plus privée, les asseurant que, si la conscience & l’honneur ne les retenoient, elles leur accorderoient leurs desirs, & les pauvres sots, quand en quelque compaignie parlent d’elles, jurent qu’ils mettroient leur doigt au feu sans brusler pour soubstenir qu’elles sont femmes de bien, car ils ont expérimenté leur amour jusques au bout. Ainsi se font louer par les honnestes hommes celles