Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/147

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
133
XXe NOUVELLE

bonne fortune pour luy &, le plus doulcement qu’il peut, sans faire un seul bruict, la chercha le mieulx qu’il luy fut possible, desirant sur toutes choses de la pouvoir trouver seule. Mais, quand il fut près d’un pavillon faict d’arbres pliez, lieu tant beau & plaisant qu’il n’estoit possible de plus, entra soubdainement là comme celuy à qui tardoit de veoir ce qu’il aymoit, mais il trouva à son entrée la Damoiselle couchée dessus l’herbe entre les bras d’un Palefrenier de sa Maison, aussi laid, ord & infame que de Riant estoit beau, honneste & aimable.

Je n’entreprendz pas de vous paindre le despit qu’il eut, mais il fut si grand qu’il eut puissance en ung moment d’esteindre le feu que la longueur du temps ni l’occasion n’avoient su faire, &, autant remply de despit qu’il avoit eu d’amour, luy dist : « Madame, prou vous face. Aujourd’huy par vostre meschanceté congneue suis guéry & délivré de la continuelle douleur dont honnesteté que j’estimois en vous estoit l’occasion », &, sans autre adieu, s’en retourna plus viste qu’il n’estoit venu.

La pauvre femme ne luy feit autre response sinon de mettre la main devant son visaige, car, puis qu’elle ne pouvoit couvrir sa honte, couvrit elle ses oeilz pour ne veoir celuy qui la voyoit trop clairement, nonobstant sa dissimulation.