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XXJe NOUVELLE

vant le mien. Il m’a longuement entretenue & aimée ; mais vous, Madame, qui jamais ne me pardonnastes nulle petite faulte ne me louastes de nul bon euvre, combien que vous congnoissez par expérience que je n’ay poinct accoustumé de parler de propos d’amour ne de mondanité & que du tout j’estois retirée à mener une vie plus religieuse que autre, avez incontinent trouvé estrange que je parlasse à ung Gentil homme aussi malheureux en ceste vie que moy, en l’amitié duquel je ne pensois ny ne cherchois autre chose que la consolation de mon esperit. Et, quand du tout je me veidz frustrée, j’entray en tel désespoir que je délibéray de chercher autant mon repos que vous aviez envye de me l’oster & à l’heure eusmes parolles de mariage, lesquelles ont esté consommées par promesse & anneau. Parquoy il me semble, Madame, que vous me tenez ung grand tort de me nommer meschante, veu que en une si grande & parfaicte amitié, où je pouvois trouver les occasions si je voulois, il n’y a jamais eu entre luy & moy plus grande privaulté que de baiser, espérant que Dieu me feroit la grâce que avant la consommation du mariage je gaingneroys le cueur de Monsieur mon père à se y consentir. Je n’ay poinct offensé Dieu, ni ma conscience, car j’ay attendu jusques à l’aage de trente ans pour veoir ce que vous & Monsieur mon père feriez pour