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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/182

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IIJe JOURNÉE

la teint là longuement en prison, la faisant persuader que, si elle vouloit quicter son mary, il la tiendroit pour sa fille & la mettroit en liberté. Toutesfois elle tint ferme & aima mieulx le lien de sa prison, en conservant celluy de son mariage, que toute la liberté du monde sans son mary, & sembloit à veoir son visaige que toutes ses peines luy estoient passetemps très plaisans puis qu’elle les souffroit pour celluy qu’elle aimoit.

Que diray je icy des hommes ? Ce bastard tant obligé à elle, comme vous avez veu, s’enfuyt en Allemaigne, où il avoit beaucoup d’amis, & monstra bien par sa legiereté que vraye & parfaicte amour ne luy avoit pas tant faict pourchasser Rolandine que l’avarice & l’ambition, en sorte qu’il devint tant amoureux d’une Dame d’Allemaigne qu’il oublia à visiter par lettres celle qui pour luy soustenoit tant de tribulation. Car jamais la Fortune, quelque rigueur qu’elle leur tint, ne leur peut oster le moyen de s’escripre l’un à l’autre, sinon la folle & meschante amour où il se laissa tumber, dont le cueur de Rolandine eut premier ung sentiment tel qu’elle ne povoit plus reposer.

Et après, voyant les escriptures tant changées & refroidies du langage accoustumé qu’elle ne ressembloient plus aux passées, soupçonna que nou-