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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/183

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XXJe NOUVELLE

velle amytié la séparoit de son mary, ce que tous les tormens & peynes qu’on luy avoit peu donner n’avoient sçeu faire, &, parce que sa parfaicte amour ne vouloit qu’elle asseist jugement sur ung soupson, trouva moyen d’envoyer secrètement ung serviteur en qui elle se fyoyt, non pour luy escripre & parler à luy, mais pour l’espier & veoir la vérité, lequel, retourné du voyage, luy dist que pour le seur il avoit trouvé le bastard bien fort amoureux d’une Dame d’Allemaigne & que le bruict estoit qu’il pourchassoit de l’espouser, car elle estoit fort riche.

Ceste nouvelle apporta une si extrême douleur au cueur de cette pauvre Rolandine que, ne la pouvant porter, tumba bien griefvement malade. Ceux qui entendoient l’occasion luy dirent de la part de son père que, puisqu’elle voyoit la grande meschanceté du bastard, justement elle le pouvoit abandonner, & la persuadèrent de tout leur possible. Mais, nonobstant qu’elle fust tormentée jusques au bout, si n’y eut il jamais remède de luy faire changer son propos, & monstra en ceste dernière tentation l’amour qu’elle avoit & sa très grande vertu. Car, ainsi que l’amour se diminuoit du costé de luy, ainsy augmentoit du sien & demoura, malgré qu’il en eust, l’amour entier & parfaict, car l’amitié qui défailloit du costé de luy tourna en elle. Et, quand elle congneut que en son