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IIJe JOURNÉE

monastères, toutes les Religieuses trembloient de la craincte qu’elles avoient de luy &, pour l’appaiser des grandes rigueurs qu’il leur tenoit, le traictoient comme elles eussent faict la personne du Roy, ce que au commencement il refusoit, mais à la fin, venant sur les cinquante cinq ans, commença à trouver fort bon le traictement qu’il avoit au commencement desprisé &, s’estimant luy mesme le bien public de toute Religion, desira de conserver sa santé mieulx qu’il n’avoit accoustumé. Et, combien que sa Reigle portast de jamais ne manger cher, il s’en dispensa luy mesme, ce qu’il ne faisoit à nul autre, disant que sur luy estoit tout le faiz de la Religion, par quoy si bien se festoya que d’un Moyne bien meigre il en feyt ung bien gras.

Et à ceste mutation de vivre se feyt une mutation de cueur telle qu’il commencea à regarder les visaiges, dont paravant avoit faict conscience, &, en regardant les beaultez que les voilles rendent plus desirables, commencea à les convoicter. Doncques pour satisfaire à ceste convoitise chercha tant de moyens subtils qu’à la parfin de pasteur il devint loup, tellement que en plusieurs bonnes Religions, s’il s’en trouvoit quelqu’une ung peu sotte, il ne failloit à la decepvoir. Mais, après avoir longuement continué ceste meschante vie, la bonté Divine, qui print pitié des pauvres brebis esgarées,