Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
179
XXIJe NOUVELLE

par désobéissance, le regarda au visage ; elle le trouva si laid qu’elle pensa faire plus de pénitence que de péché à le regarder.

Le beau Père, après luy avoir dict plusieurs propos de la grande amitié qu’il luy portoit, luy voulut mettre la main au tetin, qui fut par elle repoulsé comme elle debvoit, & fut si courroucé qu’il luy dist : « Faut il qu’une Religieuse sçaiche qu’elle ait des tetins ? » Elle luy dist : « Je sçay que j’en ay, & certainement que vous ny autre n’y toucherez poinct, car je ne suis pas si jeune & ignorante que je n’entende bien ce qui est péché de ce qui ne l’est pas. »

Et, quand il veit que ses propos ne la povoient gaingner, luy en va bailler d’un autre, disant : « Hélas, ma fille, il faut que je vous déclaire mon extrême nécessité ; c’est que j’ay une maladie que tous les Médecins trouvent incurable, sinon que je me resjouisse & me joue avecq quelque femme que j’ayme bien fort. De moy, je ne vouldrois pour mourir faire ung péché mortel, mais, quand l’on viendroit jusques là, je sçay que simple fornication n’est nullement à comparer à pécher d’homicide. Par quoy, si vous aimez ma vie, en sauvant vostre conscience de crudélité, vous me la saulverez. » Elle luy demanda quelle façon de jeu il entendoit faire. Il luy dist qu’elle povoit bien reposer sa conscience sur la sienne, & qu’il ne feroit chose dont l’une ne l’autre fust chargée.