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IIJe JOURNÉE

Monastère de Gif, auquel lieu se monstra plus austère qu’il n’avoit jamais faict, se courrouçant à toutes les Religieuses, reprenant l’une que son voile n’estoit pas assez bas, l’autre qu’elle haulsoit trop la teste, & l’autre qu’elle ne faisoit pas bien la révérence en Religieuse. En tous ces petiz cas se monstroit si austère que l’on le craingnoit comme ung Dieu painct en Jugement, & luy, qui avoit les gouttes, se travailla tant de visiter les lieux réguliers que, environ l’heure de Vespres, heure par luy apostée, se trouva au Dortouer.

L’Abbesse luy dist : « Père Révérend, il est temps de dire Vespres. » À quoy il respondit : « Allez, Mère, allez, faictes les dire, car je suis si las que je demeureray ici non pour reposer, mais pour parler à Seur Marie, de laquelle j’ay oy très mauvais rapport, car l’on m’a dict qu’elle caquette comme si c’estoit une mondaine. » L’Abbesse, qui estoit tante de sa mère, le pria de la bien chapitrer & la luy laissa toute seule, sinon ung jeune Religieux qui estoit avecq luy.

Quand il se trouva seul avecq Seur Marie, commencea à luy lever le voile & luy commander qu’elle le regardast. Elle luy respondit que sa Reigle luy deffendoit de regarder les hommes. « C’est bien dict, ma fille », luy dist il, « mais il ne fault pas que vous estimiez qu’entre nous Religieux soyons hommes. » Par quoy Seur Marie, craingnant faillir