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IIJe JOURNÉE

j’en ay grande compassion, j’ay pensé de vous dire ung secret de nostre saincte Théologie, c’est que la loy, qui pour les abuz des mariz indiscrets est si rigoureuse, ne veult permettre que ceulx qui sont de bonne conscience comme vous soient frustrez de l’intelligence. Par quoy, Monsieur, si je vous ay dict devant les gens l’ordonnance de la sévérité de la Loy, à vous, qui estes homme saige, n’en doibtz céler la douceur. Sçachez, mon fils, qu’il y a femmes & femmes, comme aussi hommes & hommes. Premièrement, nous fault sçavoir de Madame que voicy, veu qu’il y a trois sepmaines qu’elle est accouchée, si elle est hors du flux de sang ? »

À quoy respondit la Damoiselle qu’elle estoit toute necte. « Adoncques, » dist le Cordelier, « mon filz, je vous donne congé d’y coucher sans en avoir scrupule, mais que vous me promettez deux choses », ce que le Gentil homme feit voluntiers.

« La première, » dist le beau Père, » c’est que vous n’en parlerez à nulluy, mais y viendrez secrétement ; l’autre que vous n’y viendrez qu’il ne soyt deux heures après minuict, à fin que la digestion de la bonne Dame ne soit empeschée par voz follies », ce que le Gentil homme luy promist & jura par telz sermens que celluy, qui le congnoissoit plus sot que menteur, en fut tout asseuré.