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IIJe JOURNÉE

la vie contemplative, avecq la craincte qu’il avoit d’estre congneu, pensa plus à satisfaire au meschant desir dont dès long temps avoit le cueur empoisonné que à luy faire nulle response, dont la Dame fut fort estonnée, &, quant le Cordelier veid approcher l’heure que le mary devoit venir, se leva d’auprès de la Damoiselle, & le plus tost qu’il peust retourna en sa chambre.

Et, tout ainsy que la fureur de la concupiscence luy avoyt osté le dormir, la craincte, qui tousjours suit la meschanceté, ne luy permist de trouver aucun repos, mais s’en alla au Portier de la maison & luy dist :

« Mon amy, Monsieur m’a commandé de m’en aller incontinant en nostre Couvent faire quelques prières où il a dévotion, par quoy, je vous prie, baillez moy ma monture & m’ouvrez la porte sans que personne en entende rien, car l’affaire est nécessaire & secrète. »

Le Portier, qui sçavoit bien que obéir au Cordelier estoit service agréable à son Seigneur, luy ouvrit secrètement la porte & le meist dehors.

En cest instant s’esveilla le Gentil homme, lequel, voyant approcher l’heure qui luy estoit donnée du beau Père pour aller veoir sa femme, se leva en sa robbe de nuict & s’en alla coucher vistement où par l’ordonnance de Dieu, sans congé d’homme, il pouvoit aller.