Aller au contenu

Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/250

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
236
IIJe JOURNÉE

fust aagée que de vingt trois ans, pour ce que son mary approchoit le cinquantiesme s’abilloit si honnestement qu’elle sembloyt plus vefve que mariée. Et jamais à nopces ny à festes homme ne la veit aller sans son mary, duquel elle estimoit tant la bonté & la vertu qu’elle le préféroit à la beaulté de tous les autres. Et le mary, l’ayant experimentée si saige, y print telle seureté qu’il luy commettoit toutes les affaires de sa maison.

Ung jour fut convié ce riche homme avecq sa femme à une nopce de leurs parentes, auquel lieu, pour honorer les nopces, se trouva le jeune Seigneur d’Avannes, qui naturellement aymoyt les dances, comme celluy qui en son temps ne trouvoit son pareil, &, après le disner que les dances commencèrent, fut prié le dict Seigneur d’Avannes par le riche homme de vouloir danser.

Le dict Seigneur luy demanda qu’il vouloyt qu’il menast ? Il luy respondit : « Monseigneur, s’il y en avoit une plus belle & plus à mon commandement que ma femme, je la vous présenterois, vous suppliant me faire cest honneur de la mener danser », ce que feit le jeune Prince, duquel la jeunesse estoit si grande qu’il prenoyt plus de plaisir à saulter & danser que à regarder la beaulté des Dames. Et celle qu’il menoyt au contraire regardoit plus la grace & beaulté du dict Seigneur d’Avannes que la dance où elle estoyt,