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IIJe JOURNÉE

elle, il ne se peut garder, ung jour qu’il faisoit assez obscur, chassant toute craincte dehors, de luy dire :

« Madame, je ne voy meilleur moyen pour estre tel & vertueulx que vous me preschez & desirez que de mectre mon cueur & estre entierement amoureux de la vertu ; je vous suplie, Madame, me dire s’il ne vous plaist pas m’y donner toute ayde & faveur à vous possible. »

La Dame, fort joyeuse de luy veoir tenir ce langaige, luy dist : « Et je vous promects, Monseigneur, que, si vous estes amoureux de la vertu comme il apartient à tel Seigneur que vous, je vous serviray pour y parvenir de toutes les puissances que Dieu a mises en moy.

— Or, Madame, » dist Monseigneur d’Avannes, « souvienne vous de vostre promesse & entendez que Dieu, incongneu de l’homme sinon par la foy, a daigné prendre la chair semblable à celle de péché afin que, en attirant nostre chair à l’amour de son humanité, tirât aussi nostre esprit à l’amour de sa Divinité, & s’est voulu servyr des moyens visibles pour nous faire aymer par foy les choses invisibles. Aussy ceste vertu, que je desire aymer toute ma vie, est chose invisible sinon par les effectz du dehors, par quoy est besoing qu’elle prenne quelque corps pour se faire congnoistre entre les hommes, ce qu’elle a faict, se revestant