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XXVJe NOUVELLE

nuer ; mais sçachez que le non, que si souvent je vous ay dict, m’a faict tant de mal au prononcer qu’il est cause de ma mort, de laquelle je me contente, puis que Dieu m’a faict la grace de morir premier que la viollance de mon amour ayt mis tache à ma conscience & renommée ; car de moindres feux que le mien ont ruynez plus grandz & plus fortz édifices. Or m’en voys je contante puis que, devant morir, je vous ay pu déclarer mon affection esgalle à la vostre, hors mis que l’honneur des hommes & des femmes n’est pas semblable, vous supliant, Monseigneur, que doresnavant vous ne craingnez vous adresser aux plus grandes & vertueuses dames que vous pourrez, car en telz cueurs habitent les plus grandes passions & plus saigement conduictes, & la grace, beaulté & honnesteté qui sont en vous ne permectent que vostre amour sans fruict travaille. Je ne vous prieray poinct de prier Dieu pour moy, car je sçay que la porte de Paradis n’est poinct refusée aux vraiz amans & que amour est ung feu qui punyt si bien les amoureux en ceste vie qu’ilz sont exemptz de l’aspre torment de Purgatoire. Or adieu, Monseigneur ; je vous recommande vostre bon père, mon mary, auquel je vous prye compter à la vérité ce que vous sçavez de moy, affin qu’il congnoisse combien j’ay aymé Dieu & luy, & gardez vous de vous trouver devant mes œilz, car doresnavant ne veulx pen-