Aller au contenu

Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/286

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
272
IIJe JOURNÉE

« que la malice y soyt plus que aux autres, mais ouy bien que l’amour les tourmente parmy le traveil qu’ilz ont d’autres choses, ny que en ung cueur villain une passion si gentille se puisse mercte.

— Madame, » dist Saffredent, « vous sçavez que Maistre Jehan de Mehun a dict que

Aussy bien sont amourettes
Soubz bureau que soubz brunettes.

Et aussi l’amour de qui le compte parle n’est pas de celle qui faict porter les harnoys, car, tout ainsy que les pauvres gens n’ont les biens & les honneurs, aussy ont ilz leurs commoditez de Nature plus à leur ayse que nous n’avons. Leurs viandes ne sont si friandes, mais ilz ont meilleur appétit & se nourrissent mieulx de gros pain que nous de restaurans. Ilz n’ont pas les licts si beaulx ne si bien faicts que les nostres, mais ilz ont le sommeil meilleur que nous & le repos plus grand. Ilz n’ont poinct les Dames painctes & parées dont nous ydolastrons, mais ilz ont la joissance de leurs plaisirs plus souvent que nous & sans craincte de parolles, sinon des bestes & des oiseaulx qui les veoyent. En ce que nous avons ilz defaillent, & en ce que nous n’avons ilz habondent.

— Je vous prie, » dist Nomerfide, « laissons là ce paisant avecq sa paisante, & avant Vespres achevons nostre Journée, à laquelle Hircan mectra la fin.

— Vrayement, » dist-il, « je vous en garde une aussy piteuse & estrange que vous en avez poinct ouy. Et, combien qu’il me fasche fort de racompter chose qui soyt à la honte d’une d’entre vous, sçachant que les hommes tant plains de malice font tousjours consé-