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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/291

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XXXe NOUVELLE

il ne soit vray, vous en porterez la peyne. » Et, pour en sçavoir l’expérience, luy commanda de bailler assignation à son filz de venir à mi-nuyct coucher avecq elle en la chambre de la Dame en ung lict auprès de la porte où ceste Fille couchoyt toute seulle.

La Damoiselle obéyt à sa Maistresse &, quant se vint au soir, la Dame se mist en la place de sa Damoiselle, délibérée, s’il estoyt vray ce qu’elle disoyt, de chastier si bien son filz qu’il ne coucheroyt jamais avecq femme qu’il ne luy en souvynt.

En ceste pensée & collère son filz s’en vint coucher avecq elle, & elle, qui encores, pour le veoir coucher, ne pouvoyt croyre qu’i voulsisse faire chose deshonneste, actendit à parler à luy jusques ad ce qu’elle congneust quelque signe de sa mauvaise volunté, ne povant croyre par choses petites que son desir peust aller jusques au criminel ; mais sa patience fut si longue & sa nature si fragile qu’elle convertyt sa collère en ung plaisir trop abominable, obliant le nom de mère. Et, tout ainsy que l’eaue par force retenue court avecq plus d’impétuosité, quant on la laisse aller, que celle qui ordinairement court, ainsy ceste pauvre Dame tourna sa gloire à la contraincte qu’elle donnoyt à son corps. Quant elle vint à descendre le premier degré de son honnesteté, se trouva soubdainement portée jusques au dernier, & en ceste nuyct là