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XXXJe NOUVELLE

tant avec ce Cordelier & dist à l’autre Chamberière : « Allez veoir à quoy il tient que vostre compaigne ne vient. » La Chamberière s’en vat &, si tost que le beau Père la veyt, il la tira à part en ung coing & feyt comme de sa compaigne. Et, quand se veid seul en la maison, s’en vint à la Damoiselle & luy dist qu’il y avoyt long temps qu’il estoit amoureux d’elle & que l’heure estoyt venue qu’il falloyt qu’elle luy obéist.

La Damoiselle, qui ne s’en fut jamais doubtée, luy dist : « Mon Père, je croy que, si j’avois une volunté si malheureuse, que me vouldriez lapider le premier. » Le Religieux luy dist : « Sortez en ceste court, & vous verrez ce que j’ay faict. »

Quant elle veid ses deux Chamberières & son Varlet mortz, elle fut si très esfroyée de paour qu’elle demeura comme une statue sans sonner mot. À l’heure le meschant, qui ne vouloit poinct joyr pour une heure, ne la voulut prendre par force, mais luy dist : « Madamoiselle, n’ayez paour ; vous estes entre les mains de l’homme du monde qui plus vous ayme. »

Disant cella, il despouilla son grand habit, dessoubz lequel en avoyt vestu ung petit, lequel il présenta à la Damoiselle, en luy disant que, si elle ne le prenoit, il la mectroyt au rang des trespassez qu’elle voyoit devant ses oeilz.

La Damoiselle, plus morte que vive, délibéra de