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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/31

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XIJe NOUVELLE

Le Gentil homme, oyant les raisons de son maistre & voyant son visaige non fainct tout baigné de larmes, en eut si grande compassion qu’il luy dist : « Monsieur, je suis vostre creature. Tout le bien & l’honneur que j’ay en ce monde vient de vous ; vous pouvez parler à moy comme à vostre ame, estant seur que ce qui sera en ma puissance est en vos mains. »

À l’heure, le Duc commença à luy déclairer l’amour qu’il portoit à sa seur, qui estoit si grande & si forte que, si par son moyen n’en avoit la joissance, il ne voioit pas qu’il peust vivre longuement, car il sçavoit bien qu’envers elle prières ne présens ne servoient de riens. Par quoy il le pria que, s’il aimoit sa vie autant que luy la sienne, luy trouvast moyen de luy faire recouvrer le bien que sans luy il n’espéroit jamais d’avoir.

Le frère, qui aimoit sa seur & l’honneur de sa Maison plus que le plaisir du Duc, luy voulut faire quelque remonstrance, luy suppliant en tous autres endroicts l’employer, hors mis en une chose si cruelle à luy que de pourchasser le deshonneur de son sang, & que son cueur & son honneur ne se pouvoient accommoder à luy faire ce service.

Le Duc, enflambé d’un courroux importable, mist le doigt entre ses dens, se mordant l’ongle, & luy respondit par une grande fureur : « Or bien, puisque je ne trouve en vous nulle amitié, je sçay