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IJe JOURNÉE

que j’ay à faire. » Le Gentil homme, congnoissant la cruaulté de son maistre, eut craincte & luy dist : « Mon seigneur, puisqu’il vous plaist, je parleray à elle & vous diray sa réponse. » Le Duc luy respondit, en se départant de luy : « Si vous aimez ma vie, aussi feray je la vostre. »

Le Gentil homme entendit bien que ceste parole vouloit dire & fut ung jour ou deux sans veoir le Duc, pensant à ce qu’il avoit à faire. D’un costé luy venoit au devant l’obligation qu’il devoyt à son maistre, les biens & les honneurs qu’il avoyt reçeuz de luy ; de l’autre costé l’honneur de sa Maison, l’honnesteté & chasteté de sa seur, qu’il sçavoit bien jamais ne se consentir à telle meschanceté si par sa tromperie elle n’estoit prinse par force, chose si estrange que à jamais luy & les siens en seroient diffamez. Si print conclusion en ce différent qu’il aimoit mieux mourir que de faire un si meschant tour à sa seur, l’une des plus femmes de bien qui fust en toute l’Italie, mais que plustost debvroyt delivrer sa patrie d’un tel tyran, qui par force vouloit mettre une telle tache en sa Maison ; car il tenoit tout asseuré que, sans faire mourir le Duc, la vie de luy & des siens n’estoit pas asseurée. Parquoy, sans en parler à sa seur ni à créature du monde, délibéra de saulver sa vie & venger sa honte par un mesme moyen. Et au bout de deux jours s’en vint au Duc & luy dist comme