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IIIJe JOURNÉE

grand baston ferré qu’il tenoit, & en donna ung si grand coup par le cousté au Varlet qu’i l’abbatit du cheval à terre ; incontinant saillyt sur son corps & luy couppa la gorge.

Le Gentil homme, qui de loing veit tresbucher son Varlet, pensant qu’il fust tumbé par quelque fortune, court après pour le relever, &, si tost que le Cordelier le veit, il luy donna de son baston ferré comme il avoyt faict à son Varlet & le gecta par terre, & se gecta sur luy. Mais le Gentil homme, qui estoyt fort & puissant, embrassa le Cordelier de telle sorte qu’il ne luy donna povoir de luy faire mal, & luy feit saillyr le poingnart des poinctz, lequel sa femme incontinant alla prendre & le bailla à son mary, & de toute sa force tint le Cordelier par le chapperon. Et le mary luy donna plusieurs coups de poingnart, en sorte qu’il luy requist pardon & confessa sa meschanceté. Le Gentil homme ne le voulut poinct tuer, mais pria sa femme d’aller en sa maison quérir ses gens & quelque charrette pour le mener, ce qu’elle feyt ; despouillant son habit, courut tout en chemise, la teste raze, jusques en sa maison.

Incontinant accoururent tous ses gens pour aller à leur Maistre luy ayder à admener le loup qu’il avoyt prins & le trouvèrent dans le chemyn, où il fut prins, lyé & mené en la maison du Gentil homme, lequel après le feyt conduire en la Justice