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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/318

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IIIJe JOURNÉE

de sa femme qui luy vouloient mal, il estoyt contrainct tenir ainsy la maison fermée. Aussi le dict Bernage luy dist l’occasion de sa légation, en quoy le Gentil homme s’offryt de faire tout service à luy possible au Roy son maistre, & le mena dedans sa maison, où il le logea & festoya honorablement.

Il estoyt heure de soupper ; le Gentil homme le mena en une belle salle, tendue de belle tapisserye, &, ainsy que la viande fut apportée sur la table, veid sortyr de derrière la tapisserye une femme la plus belle qu’il estoyt possible de regarder, mais elle avoyt sa teste toute tondue, le demeurant du corps habillé de noir à l’Alemande. Après que le Gentil homme eut lavé avec le Seigneur de Bernaige, l’on porta l’eaue à ceste Dame, qui lava & s’alla seoir au bout de la table, sans parler à nulluy ny nul à elle. Le Seigneur de Bernage la regarda bien fort, & luy sembla une des plus belles Dames qu’il avoyt jamais veues, sinon qu’elle avoyt le visaige bien pasle & la contenance bien triste.

Après qu’elle eut mengé ung peu, elle demanda à boyre, ce que lui apporta ung serviteur de céans dedans ung esmerveillable vaisseau, car c’estoyt la teste d’un mort, dont les œilz estoient bouchez d’argent, & ainsy beut deux ou trois foys. La Damoiselle, après qu’elle eut souppé, se feyt laver les mains, feyt une révérance au Seigneur de la maison & s’en retourna derrière la tapisserye, sans