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IIIJe JOURNÉE

En disant cela se print fort à pleurer. Le Gentil homme tira Bernaige par le bras & l’emmena.

Le lendemain au matin, s’en partyt pour aller faire la charge que le Roy luy avoyt donnée. Toutesfois, disant adieu au Gentil homme, ne se peut tenir de luy dire :

« Monsieur, l’amour que je vous porte & l’honneur & privaulté que vous m’avez faicte en vostre maison me contraingnent à vous dire qu’il me semble, veu la grande repentance de vostre pauvre femme, que vous luy debvez user de miséricorde, & aussy vous estes jeune & n’avez nulz enfans, & seroyt grand dommaige de perdre une si belle Maison que la vostre & que ceulx qui ne vous ayment peut-estre poinct en fussent héritiers. »

Le Gentil homme, qui avoyt délibéré de ne parler jamays à sa femme, pensa longuement aux propos que luy tint le Seigneur de Bernaige, & enfin congneut qu’il disoyt vérité & luy promist que, si elle persévéroyt en ceste humilité, il en auroyt quelquefois pitié.

Ainsy s’en alla Bernaige faire sa charge &, quand il fust retourné devant le Roy son Maistre, luy fit tout au long le compte, que le Prince trouva tel comme il disoyt &, entre autres choses ayant parlé de la beaulté de la Dame, envoya son Painctre, nommé Jehan de Paris, pour luy rapporter ceste Dame au vif, ce qu’il feyt après le consentement