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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/329

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XXXIIJe NOUVELLE

&, à la fin de la messe, le Curé print le corpus Domini, & en la présence de toute l’assistance dist à sa seur : « Malheureuse que tu es, voicy Celluy qui a souffert mort & passion pour toy, devant lequel je te demande si tu es vierge comme tu m’as tousjours asseuré ? » Laquelle hardiment lui respondit que ouy. « Et comment doncques est il possible que tu soys grosse & demeurée vierge ? » Elle respondit : « Je n’en puis randre autre raison, sinon que ce soyt la grace du Sainct Esperit qui faict en moy ce qu’il lui plaist ; mais si ne puis je nier la grâce que Dieu m’a faicte de me conserver vierge, & n’euz jamais volunté d’estre maryée. » À l’heure son frère luy dist : « Je te bailleray le corps précieux de Jésu-Christ, lequel tu prendras à ta damnation s’il est autrement que tu me le dis, dont Messieurs, qui sont icy présens de par Monseigneur le Conte, seront tesmoings. » La fille, aagée de près de trente ans, jura par tel serment : « Je prendz le corps de Nostre Seigneur icy présent devant vous à ma damnation, devant vous Messieurs & vous mon frère, si jamais homme m’atoucha non plus que vous. » Et en ce disant reçeut le corps de Nostre Seigneur.

Le Maistre des Requestes & Aulmonier du Conte ayans veu cella s’en allèrent tous confuz, croyans que, avecq tel serment, mensonge ne sçauroit avoir lieu, & en feirent le rapport au Conte, le voulant