Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
19
XIJe NOUVELLE

il avoit tant bien practiqué sa seur, non sans grande peine, que à la fin elle s’estoit consentie à faire à sa volunté, pourveu qu’il luy pleust tenir la chose si secrette que nul que son frère n’en eust congnoissance.

Le Duc, qui desiroit cette nouvelle, la creut facilement &, en embrassant le messaiger, luy promectoit tout ce qu’il luy sçauroit demander ; le pria de bien tost exécuter son entreprinse, & prindrent le jour ensemble. Si le Duc fut aise, il ne le fault poinct demander, &, quand il veid approcher la nuict tant desirée où il espèroit avoir la victoire de celle qu’il avoit estimée invincible, se retira de bonne heure avecq ce Gentil homme tout seul & n’oblia pas de s’acoustrer de coeffes & chemises perfumées le mieulx qu’il luy fut possible. Et, quand chascun fut retiré, s’en alla avecq ce Gentil homme au logis de sa Dame, où il arriva en une chambre fort bien en ordre.

Le Gentil homme le despouilla de sa robbe de nuict & le meit dedans le lict en luy disant : « Mon Seigneur, je vous vois quérir celle qui n’entrera pas en ceste chambre sans rougir, mais j’espère que avant le matin elle sera asseurée de vous. » Il laissa le Duc & s’en alla en sa chambre, où il ne trouva qu’un seul homme de ses gens, auquel il dist : « Auroys tu bien le cueur de me suyvre en ung lieu où je me veux venger du plus grand en-