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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/344

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IIIJe JOURNÉE

le sermon que commençoyt ung Cordelier, tenu de tout le peuple ung sainct homme pour sa très grande austérité & bonté de vie, qui le randoyt meigre & pasle, mais non tant qu’il ne fût ung des beaulx hommes du monde.

La Dame escouta dévotement son sermon, ayant les œilz fermes à regarder ceste vénérable personne, & l’oreille & l’esperit prestz à l’escouter, par quoy la doulceur de ses parolles pénétra les oreilles de ladicte Dame jusques au cueur, & la beaulté & grace de son visaige passa par les œilz & blessa si fort l’esperit de la Dame qu’elle fut comme une personne ravye. Après le sermon regarda soigneusement où le Prescheur diroyt la messe, & là assista & print les cendres de sa main, qui estoit aussi belle & blanche que Dame la sçauroit avoir, ce que regarda plus la dévote que la cendre qu’il luy bailloyt.

Croyant asseurément que un tel amour spirituel & quelques plaisirs qu’elle en sentoyt n’eussent sçeu blesser sa conscience, elle ne failloyt poinct tous les jours d’aller au sermon & d’y mener son mary, & l’un & l’autre donnoient tant de louange au Prescheur que en tables & ailleurs ilz ne tenoient aultres propos. Ainsy ce feu, soubz tiltre de spirituel, fut si charnel que le cueur qui en fut si embrasé brusla tout le corps de ceste pauvre Dame, &, tout ainsy qu’elle estoyt tardive à sentyr ceste