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IIIJe JOURNÉE

ceste foy que si vous mectez la main sur elle, que le Diable s’en ira, dont je vous prie autant que je puis. » Le beau Père dist : « Mon filz, toute chose est possible au croyant. Croiez vous pas fermement que la bonté de Dieu ne refuse nul qui en foy luy demande grâce ? — Je le croy, mon père, » dist le Gentil homme. — « Asseurez vous aussy, mon filz, » dist le Cordelier, « qu’il peut ce qu’il veut & qu’il n’est moins puissant que bon. Allons, fortz en foy, pour résister à ce lyon rugissant & lui arracher la proye qui est acquise à Dieu par le sang de son filz Jésus Christ. »

Ainsy le Gentil homme mena cest homme de bien où estoyt sa femme couchée sur ung petit lict, qui fust si estonnée de le veoir, pensant que ce fust celluy qui l’avoyt battue, qu’elle entra en merveilleuse collère, mais, pour la présence de son mary, baissa les œilz & devint muette. Le mary dist au sainct homme : « Tant que je suis devant elle, le Diable ne la tormente guères, mais, si tost que je m’en iray, vous luy gecterez de l’eau benoiste ; vous verrez à l’heure le Malin Esperit faire son office. »

Le mary le laissa tout seul avecq sa femme & demeura à la porte pour veoir leur contenance. Quant elle ne veid plus personne que le beau Père, elle commencea à cryer comme femme hors du sens, en l’apellant meschant, villain, meurtrier,