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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/351

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XXXVe NOUVELLE

trompeur. Le beau Père, pensant pour vray qu’elle fust possedée d’un Malin Esperit, luy vouloit prandre la teste pour dire dessus les oraisons ; mais elle l’esgratina & mordeyt de telle sorte qu’il fut contrainct de parler de plus loing &, en gectant force eaue benoiste, disoyt beaucoup de bonnes oraisons.

Quant le mary veid qu’il en avoyt bien faict son debvoir, entra en la chambre & le mercya de la peyne qu’il en avoyt prinse, & à son arrivée sa femme cessa ses injures & malédictions, & baisa la croix bien doulcement pour la craincte qu’elle avoyt de son mary. Mais le sainct homme, qui l’avoyt veue tant enragée, croyoyt fermement que à sa prière Nostre Seigneur eust gecté le Diable dehors, & s’en alla louant Dieu de ce grand miracle.

Le mary, voiant sa femme bien chastiée de sa folle fantaisie, ne lui voulut poinct déclairer ce qu’il avoyt faict, car il se contentoyt d’avoir vaincu son opinion par sa prudence & l’avoir mise en telle sorte qu’elle hayoit mortellement ce qu’elle avoyt aymé, &, détestant sa folye, se adonna du tout au mary & au mesnaige mieulx qu’elle n’avoyt faict paravant.


« Par cecy, mes Dames, povez vous congnoistre le bon sens d’un mary & la fragilité d’une femme de