Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/392

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
378
IIIJe JOURNÉE

— Mais c’est grand cas, » dist Longarine, « de l’avoir longuement loué à sa seur, & me semble que ce soyt folye ou cruaulté à celluy qui garde une fontaine de louer la beaulté de son eaue à ung qui languyt de soif en la regardant, & puis le tuer quant il en veult prendre

— Pour vray, » dist Parlamente, « le frère fut occasion d’allumer le feu par si doulses parolles, qu’il ne debvoit poinct estaindre à coups d’espées.

— Je m’esbahys, » dist Saffredent, « pour quoy l’on trouve mauvays que ung simple Gentil homme, ne usant d’autre force que de service & non de suppositions, vienne à espouser une femme de grande Maison, veu que les saiges Philosophes tiennent que le moindre homme de tous vault mieulx que la plus grande & vertueuse femme qui soyt.

— Pour ce, » dist Dagoucin, « que, pour entretenir la chose publicque en paix, l’on ne regarde que les degrez des Maisons, les aages des personnes & les ordonnances des Loix, sans peser l’amour & les vertuz des hommes, afin de ne confondre poinct la monarchye, & de là vient que les mariages, qui sont faictz entre pareils & selon le jugement des parens & des hommes, sont bien souvent si différens de cueur, de complexions & de conditions que, en lieu de prendre ung estat pour mener à Salut, ilz entrent aux faulxbourgs d’Enfer.

— Aussi en a l’on bien veu, » dist Geburon, « qui se sont prins par amour, ayant les cueurs, les conditions & complexions semblables, sans regarder à la différence des Maisons & de lignaige, qui n’ont pas laissé de s’en repentir, car ceste grande amitié indiscrète tourne souvent à jalousie & en fureur.