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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/391

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XLe NOUVELLE

— J’estime, » dist Nomerfide, « que la personne qui ayme parfaictement, d’un amour joinct au commendement de son Dieu, ne congnoist honte ne deshonneur, sinon quant elle défault ou diminue de la perfection de son amour, car la gloire de bien aymer ne congnoist honte, &, quant à la prison de son corps, je croy que, pour la liberté de son cueur qui estoit joincte à Dieu & à son mary, ne la sentoyt poinct, mais estimoit la solitude très grande liberté ; car qui ne peult veoir ce qu’il ayme n’a nul plus grand bien que d’y penser incessamment, & la prison n’est jamais estroicte où la pensée se peult pourmener à son ayse.

— Il n’est rien plus vray que ce que dist Nomerfide, » dist Simontault, « mais celluy qui, par fureur, feit ceste séparation, se devoyt dire malheureux, car il offensoyt Dieu, l’Amour & l’Honneur.

— En bonne foy, » dist Geburon, « je m’esbahys des différentes amours des femmes, & voy bien que celles qui ont plus d’amour ont plus de vertu, mais celles qui en ont moins, se voulans faindre vertueuses, le dissimullent.

— Il est vray, » dist Parlamente, « que le cueur honneste envers Dieu & les hommes ayme plus fort que celluy qui est vitieux & ne crainct poinct que l’on voye le fonds de son intention.

— J’ay tousjours oy dire, » dist Simontault, « que les hommes ne doibvent point estre reprins de pourchasser les femmes, car Dieu a mis au cueur de l’homme l’amour & la hardiesse pour demander & en celluy de la femme la craincte & la chasteté pour refuser. Si l’homme, ayant usé des puissances qui luy sont données, a esté puny, on luy faict tort.