Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
58
IJe JOURNÉE

eue de la mort & le remords de sa conscience, & s’arresta au Seigneur Bonnivet, dont l’amitié dura, selon la coustume, comme la beauté des fleurs des champs.

« Il me semble, mes Dames, que les finesses du Gentil homme valent bien l’hypocrisie de ceste Dame, qui, après avoir tant contrefaict la femme de bien, se déclaira si folle.

— Vous direz ce qu’il vous plaira des femmes, » dist Ennasuitte, « mais ce Gentil homme feit un tour meschant. Est il dict que, si une Dame en aimoit un, l’autre la doive avoir par finesse ?

— Croyez, » ce dist Geburon, « que telles marchandises ne se peuvent mettre en vente qu’elles ne soient emportées par les plus offrans & derniers enchérisseurs. Ne pensez pas que ceulx qui poursuivent les dames prennent tant de peine pour l’amour d’elles, car c’est seulement pour l’amour d’eulx & de leur plaisir.

— Par ma foy, » ce dist Longarine, « je vous croy ; car, pour vous en dire la verité, tous les serviteurs que j’ay jamais eu m’ont tousjours commencé leurs propos par moy, monstrans desirer ma vie, mon bien, mon honneur, mais la fin en a esté pour eulx, desirans leur plaisir & leur gloire. Par quoy le meilleur est de leur donner congié dès la première partie de leur sermon ; car, quand on vient à la seconde, on n’a pas tant d’honneur à les refuser, veu que le vice de soy, quand il est congneu, est refusable.

— Il fauldroit doncques, » ce dist Ennasuitte, « que, dès que ung homme ouvre la bouche, on le refusast sans sçavoir qu’il veult dire ? »