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IJe JOURNÉE

Or estoit ce Gentil homme tant honneste, beau & plein de toute grace que toutes les Dames de la Court en faisoient bien grand cas, & entre aultres une que le Roy aimoit, qui n’estoit si jeune ne si belle que la sienne. Et, pour la grande amour qu’il luy portoit, tenoit si peu de compte de sa femme que à peine en ung an couchoit il une nuict avec elle &, ce qui plus luy estoit importable, c’est que jamais il ne parloit à elle, ne luy faisoit signe d’amitié. Et, combien qu’il jouist de son bien, il luy en faisoit si petite part qu’elle n’estoit pas habillée comme il luy appartenoit, ne comme elle desiroit, dont la Dame avecq qui elle estoit reprenoit souvent le Gentil homme, en luy disant :

« Vostre femme est belle, riche & de bonne Maison, & vous ne tenez non plus compte d’elle que si elle estoit tout le contraire, ce que son enfance & jeunesse a supporté jusques icy ; mais j’ay paour, quand elle se verra grande & belle, que son mirouer, & quelcun qui ne vous aymera pas, luy remonstre sa beaulté si peu de vous prisée, & que par despit elle face ce que, estant de vous bien traictée, n’oseroit jamais penser. »

Le Gentil homme, qui avoit son cueur ailleurs, se mocqua très bien d’elle & ne laissa, pour ses enseignemens, à continuer la vie qu’il menoit.

Mais, deux ou trois ans passez, sa femme commença à devenir une des plus belles femmes qui