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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/77

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XVe NOUVELLE

fust poinct en France, tant qu’elle eut le bruict de n’avoir à la Court sa pareille. Et plus elle se sentoit digne d’estre aymée, plus s’ennuya de veoir que son mary n’en tenoit compte, tellement qu’elle en print ung si grand desplaisir que, sans la consolation de sa Maistresse, elle estoit quasi au desespoir. Et, après avoir cherché tous les moyens de complaire à son mary qu’elle pouvoit, pensa en elle mesme qu’il estoit impossible qu’il l’aymast, veu la grande amour qu’elle luy portoit, sinon qu’il eust quelque autre fantaisie en son entendement, ce qu’elle chercha si subtilement qu’elle trouva la verité & qu’il estoit toutes les nuicts si empesché ailleurs qu’il oublioit sa femme & sa conscience.

Et, après qu’elle fut certaine de la vie qu’il menoit, print une telle mélancolie qu’elle ne se vouloit plus habiller que de noir, ne se trouver en lieu où l’on feist bonne chère, dont sa maistresse, qui s’en apperçeut, feit tout ce qui luy fut possible pour la retirer de ceste oppinion, mais elle ne peut. Et, combien que son mary en fust assez adverty, il fut plus prest à s’en mocquer que de y donner remède.

Vous sçavez, mes Dames, que, ainsi que extrême joye est occupée par pleurs, aussi extrême ennuy prend fin par quelque joye. Par quoy ung jour advint que ung grand Seigneur, parent pro-