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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/83

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XVe NOUVELLE

de la venir veoir la nuict. Mais le mary, qui estoit si tourmenté de jalousie qu’il ne pouvoit dormir, va prendre une cappe & un varlet de chambre avecq luy, ainsi qu’il avoit ouy dire que l’autre alloit la nuict, & s’en va frapper à la porte du logis de sa femme. Elle, qui n’attendoit rien moins que luy, se leva toute seule & print des brodequins fourrés & son manteau, qui estoit auprès d’elle, &, voyant que trois ou quatre femmes qu’elle avoit estoient endormies, saillit de sa chambre & s’en va droict à la porte où elle ouyt frapper. Et en demandant « Qui est ce ? » luy fut respondu le nom de celuy qu’elle aymoit, mais, pour en estre plus asseurée, ouvrit un petit guichet, en disant : « Si vous estes celluy que vous dictes, baillez moy la main & je la congnoistray bien ». Et, quand elle toucha la main de son mary, elle le congneut &, en fermant vistement le guichet, se print à crier : « Ha, Monsieur, c’est vostre main ». Le mary luy respondit par grand courroux : « Ouy ; c’est la main qui vous tiendra promesse ; par quoy ne faillez à venir quand je le vous manderay ».

En disant ceste parole, s’en alla en son logis, & elle retourna en sa chambre, plus morte que vive, & dist tout hault à ses femmes : « Levez-vous, mes amies ; vous avez trop dormy pour moy, car en vous cuydant tromper je me suis trompée la première. » En ce disant se laissa tumber au milieu