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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/112

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Ve JOURNÉE

céler si longuement une si bonne fortune que celle qu’il avoyt eue, va dire à ses compagnons :

« Je ne sçay quelles prisons vous avez eu, mais, quant à moy, pour l’amour d’une où j’ay esté, je diray toute ma vie louange & bien des autres, car je pense qu’il n’y a plaisir en ce monde qui approche de celluy que l’on a d’estre prisonnier. »

Astillon, qui avoyt esté le premier prisonnier, se doubta de la prison qu’il vouloit dire & luy respondit : « Valnebon, soubz quel geolier ou geolière avez vous esté si bien traicté que vous aymez tant vostre prison ? »

Valnebon luy dist : « Quel que soyt le geolier, la prison m’a esté si agréable que j’eusse bien voulu qu’elle eût duré plus longuement, car je ne fuz jamais mieulx traicté ne plus contant. »

Durassier qui estoyt homme peu parlant, congnoissant très bien que l’on se débatoyt de la prison où il avoyt part comme les autres, dist à Valnebon : « De quelles viandes estiez vous nourry en ceste prison, dont vous vous louez si fort ?

— De quelles viandes ? » dist Valnebon. « Le Roy n’en a poinct de meilleures ne plus norrissantes.

— Mais encores fault il que je sçache, » dist Durassier, « si celluy qui vous tenoyt prisonnier vous faisoit bien gaingner vostre pain. »

Valnebon, qui se doubta d’estre entendu, ne se