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Ve JOURNÉE

niers, ne je n’entendz poinct que vous ayez occasion de me faire service plus que les autres. »

Valnebon s’advencea & luy dist : « Si nous avons mangé de vostre pain si longuement, nous serions bien ingratz si nous ne vous faisions service. »

Elle feit si bonne mine de n’y rien entendre qu’elle cuydoit par ceste gravité les estonner, mais ilz poursuyvoient si bien leurs propos qu’elle entendit que la chose estoit descouverte. Par quoy trouva incontinant moien de les tromper, car elle, qui avoyt perdu l’honneur & la conscience, ne voulut poinct recepvoir la honte qu’ilz luy cuydoient faire ; mais, comme elle, qui préféroit son plaisir à tout l’honneur du monde, ne leur en feyt pire visaige, ny n’en changea de contenance, dont ilz furent tant estonnez qu’ilz rapportèrent en leur sein la honte qu’ilz luy avoient voulu faire.


« Si vous ne trouvez, mes Dames, ce compte digne de faire congnoistre les femmes aussi mauvaises que les hommes, j’en chercheray d’aultres pour vous compter ; toutesfoys il me semble que cestuy là suffise pour vous monstrer que une femme qui a perdu la honte est cent foys plus hardye à faire mal que n’est ung homme. »

Il n’y eut femme en la compaignye, oïant racompter ceste histoire qui ne fist tant de signes de croix qu’il