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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/134

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VJe JOURNÉE

la pauvre fille ne pensoit en nul mal, prenant plaisir à luy faire service, estimant sa volunté si bonne & honneste qu’il n’avoyt intention dont elle ne peût avecq honneur faire le message. Mais le Duc, qui avoyt plus de regard au proffict de sa Maison que à toute honneste amitié, eut si grand paour que les propos menassent son filz jusques au mariage, qu’il y feyt mectre ung grand guet, & luy fut rapporté que ceste pauvre Damoiselle s’estoit meslée de bailler quelques lettres de la part de son filz à celle que plus il aymoyt, dont il fut tant courroucé qu’il se délibéra d’y donner ordre.

Mais il ne peut si bien dissimuler son courroux que la Damoiselle n’en fût advertye, laquelle, congnoissant la malice du Duc qu’elle estimoyt aussi grande que sa conscience petite, eut une merveilleuse craincte & s’en vint à la Duchesse, la suppliant luy donner congé de se retirer en quelque lieu hors la veue de luy, jusques à ce que sa fureur fût passée ; mais sa maistresse luy dit qu’elle essaieroit d’entendre la volunté de son mary avant que de luy donner congé.

Toutesfois elle entendit bien tost le mauvais propos que le Duc en tenoyt &, congnoissant sa complexion, non seullement donna congé mais conseilla à ceste Damoiselle de s’en aller en ung