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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/156

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VJe JOURNÉE

dire que celles qui sont les plus saiges en ont voluntiers trois, c’est assavoir ung pour l’honneur, ung pour le proffict, ung pour le plaisir, & chacun des trois pense estre le mieulx aymé, mais les deux premiers servent au dernier.

— Vous parlez de celles, » ce dist Oisille, « qui n’ont ny amour ny honneur.

— Madame, » dist Saffredent, « il y en a telle de la condition que je vous paincts & que vous estimez bien des plus honnestes femmes du païs.

— Croiez, » dist Hircan, « que une femme fine sçaura vivre où tous les autres mourront de faim.

— Aussy, » ce dist Longarine, « quant leur finesse est congneue, c’est bien la mort.

— Mais la vie, » dist Simontault, « car elles n’estiment pas petite gloire d’estre réputées plus fines que leurs compaignes. Et ce nom là de fines, qu’elles ont acquis à leurs despens, faict plus hardiment venir les serviteurs à leur obéissance que la beaulté, car ung des plus grands plaisirs qui sont entre ceulx qui ayment, c’est de conduire leur amityé finement.

— Vous parlez, » dist Ennasuicte, « d’ung amour meschant, car la bonne amour n’a besoing de couverture.

— Ha, » dist Dagoucin, « je vous supplye oster ceste opinion de vostre teste, pour ce que tant plus la drogue est prétieuse & moins se doibt éventer pour la malice de ceulx qui ne se prennent que aux signes extérieurs, lesquelz, en bonne & loialle amityé, sont tous pareilz ; par quoy les fault aussi bien cacher, quant l’amour est vertueuse, que si elle estoit au contraire, pour ne tomber au mauvais jugement de ceulx qui ne