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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/160

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VJe JOURNÉE

si droicte que l’un & l’autre n’eust sçeu mectre la teste dehors sans se veoir tous deux.

Ceste Damoiselle tenoit avecq elle deux Chamberières & souvent, quant le Seigneur & la Damoiselle estoient couchez, prenoient chacun d’eulx quelque livre de passetemps pour lire en son lict, & leurs Chamberières tenoient la chandelle, c’est assavoir la jeune au Sieur & l’autre à la Damoiselle.

Ce gentil homme, voiant la Chamberière plus jeune & plus belle que sa femme, prenoit si grand plaisir à la regarder qu’il interrompoit sa lecture pour l’entretenir, ce que très bien oyoit sa femme & trouvoyt bon que ses serviteurs & servantes feissent passer le temps à son mary, pensant qu’il n’eust amityé à autre que à elle.

Mais, ung soir qu’ilz eurent leu plus longuement que de coustume, regardant la Damoiselle de loing du costé du lict de son mary, où estoit la jeune Chamberière qui tenoit la chandelle, laquelle elle ne voyoit que par derrière & ne povoit veoir son mary sinon que du costé de la cheminée qui retournoit devant son lict, & estoit une muraille blanche où reluisoit la clairté de la chandelle, & contre la dicte muraille voyoit très bien le pourtraict du visaige de son mari & de celuy de sa Chamberière ; s’ilz s’esloignoient, s’ilz s’approchoient ou s’ilz ryoient, elle en avoyt bonne congnoissance comme si elle les eust veu.