ce meschant traistre, le voulant pugnir comme il l’avoyt merité, ce qui eut esté faict sans sa femme qui avoyt suivy son mary par les perilz de la mer & ne le voulut habandonner à la mort, mais avecq force larmes feit tant avecq le Cappitaine & toute la Compaignie que, tant pour la pitié d’icelle que pour le service qu’elle leur avoyt faict, luy accorda sa requeste, qui fut telle que le mary & la femme furent laissez en une petite isle sur la mer, où il n’abitoit que bestes sauvaiges, & leur fut permis de porter avecq eulx ce dont ilz avoient necessité.
Les pauvres gens, se trouvans tous seulz en la compagnye des bestes saulvaiges & cruelles, n’eurent recours que à Dieu seul qui avoyt esté toujours ferme espoir de ceste pauvre femme, &, comme celle qui avoyt toute consolation en Dieu, porta pour sa saulve garde, norriture & consolation le Nouveau Testament, lequel elle lisoyt incessament. Et, au demourant, avecq son mary mectoit peine d’accoustrer ung petit logis le mieulx qu’il leur estoit possible, &, quant les lyons & aultres bestes en approchoient pour les dévorer, le mary avecq sa harquebuze & elle avecq des pierres se defendoient si bien que non seullement les bestes ne les osoient approcher, mais bien souvent en tuèrent de très bonnes à manger. Ainsy avecq telles chairs & les herbes du païs vesquirent quelque temps, quant le pain leur fut failly.