Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
Ve JOURNÉE

nourrye au Chasteau où il demeuroyt, &, après la mort de sa mère, son père se remaria, par quoy elle se retira en Poictou avecq son frère. Ceste fille, qui avoyt nom Françoise, avoyt une seur bastarde que son père aymoit très fort & la maria en ung Sommelier d’Eschansonnerye de ce jeune Prince, dont elle tint aussi grand estat que nul de sa Maison. Le père vint à morir & laissa pour le partage de Françoise ce qu’il tenoyt auprès de ceste bonne ville, par quoy, après qu’il fut mort, elle se retira où estoit son bien &, à cause qu’elle estoyt à marier & jeune de seize ans, ne se vouloyt tenir seulle en ceste maison, mais se mist en pension chez sa sœur la Sommelière.

Le jeune Prince, voiant ceste fille assez belle pour une claire brune & d’une grace qui passoit celle de son estat, car elle sembloyt mieulx Gentil femme ou Princesse que Bourgeoise, il la regarda longuement. Luy, qui jamais encor n’avoyt aymé, sentyt en son cueur ung plaisir non accoustumé &, quant il fut retourné en sa chambre, s’enquist de celle qu’il avoyt vue en l’église & recongneut que aultresfois en sa jeunesse estoit elle allée au Chasteau jouer aux poupines avecq sa seur, à laquelle il la feyt recongnoistre. Sa seur l’envoya quérir & luy feit fort bonne chère, la priant de la venir souvent veoir, ce qu’elle faisoyt quant il y avoyt quelques nopces ou assemblée, où le jeune